Abus, agression et violence | L'urgence : bien plus que du triage
L’urgence est pour bien des gens la porte d’entrée vers les soins de santé. Au-delà des blessures physiques, les personnes victimes d’abus, d’agressions sexuelles ou de violence conjugale sont également prises en charge par les professionnels de la santé. Au coeur de l’équipe interdisciplinaire, les infirmières auxiliaires doivent exercer avec délicatesse auprès de ces personnes qui se présentent dans un état de vulnérabilité.
par Annabelle Baillargeon, Directrice adjointe, Service des communications et des partenariats stratégiques |
L’infirmière auxiliaire, Joan Castonguay, a rapidement été confrontée à cette réalité. « Je savais que je pouvais être amenée à travailler dans ces dossiers, mais je ne pensais pas qu’il y en avait autant. Quand tu travailles sur les étages, tu ne vois pas tant ces cas. Ils sont la plupart du temps pris en charge à l’externe ou par le milieu communautaire. Elle a été là ma surprise », se souvient celle qui a intégré l’urgence de l’hôpital Anna-Laberge il y a une dizaine d’années.
Après avoir travaillé dans une foule de milieux (unité prothétique pour les troubles neurocognitifs, réadaptation, chirurgie), elle se sentait prête à relever de nouveaux défis. Ses diverses expériences lui ont été précieuses lors de son arrivée à l’urgence, étant déjà habituée à « désamorcer des bombes ».
À l’urgence, l’infirmière auxiliaire est présente dans deux sections, soit à l’observation clinique, en dyade avec l’infirmière, ainsi qu’à l’aire ambulatoire, de pair avec le médecin ou l’infirmière au triage. À l’observation clinique, elle est amenée à assurer la continuité des soins, effectuer des prélèvements sanguins par ponctions veineuses, prendre les mesures des signes vitaux.
(Photo : Joan Castonguay, infirmière auxiliaire)
Elle contribue à l’évaluation de l’état de santé des patients en attente de diagnostic, ce qui renforce sa vigilance de manière importante. « On doit faire le tri dans les feux à éteindre et être prêt à intervenir rapidement devant toute éventualité », soutient Mme Castonguay.
Par ailleurs, lorsqu’elle travaille à l’aire ambulatoire, elle est amenée à appliquer différentes ordonnances médicales. « Mes connaissances sont mises à profit. On touche à tout, mais on fait peu de soins spécifiques. L’expérience de chacun est doublement importante », estime-t-elle.
Chaque jour, elle compose avec plusieurs cas variés, allant par exemple des maladies chroniques aux troubles neurocognitifs d’une clientèle vieillissante, des plaies chroniques aux arrêts cardiorespiratoires, ou encore des patients atteints de complications reliées à la COVID-19. Les victimes d’abus et de violence font également partie des personnes soignées par l’infirmière auxiliaire, en collaboration avec l’équipe soignante, où la contribution de tous est essentielle dans ces situations particulièrement délicates.
Violence conjugale
Des personnes victimes de violence conjugale se présentent occasionnellement à l’urgence pour soigner des blessures physiques. Les soignants doivent agir avec discrétion et patience, puisqu’elles sont souvent méfiantes.
« Le meilleur exemple que j’ai en tête, ce sont des personnes qui vont prétexter avoir fait une chute dans les escaliers. Leur non verbal est plus éloquent que ce qu’elles vont dire. Il faut observer les signes et lever le flag au médecin lorsque quelque chose nous chicote », explique l’infirmière auxiliaire.
La professionnelle ne doit pas les forcer à parler si elles ne le veulent pas. L’infirmière auxiliaire peut tenter d’ouvrir le dialogue en demandant, par exemple, comment ça se passe à la maison, mais doit respecter le rythme de la victime. Ces interventions nécessitent de la patience et l’apport d’une équipe interdisciplinaire. Dans ce type de situations, les travailleurs sociaux sont amenés à collaborer avec l’équipe soignante.
« La distance professionnelle est importante à conserver. Quand tu restes dans ton cadre professionnel et que tu donnes du temps, le lien de confiance se renforce et c’est souvent là que c’est gagnant », ajoute Mme Castonguay.
Distance indispensable
Le président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ), Pierre-Paul Malenfant, abonde dans le même sens. Comme il le rappelle, les interventions faites à l’urgence le sont à court terme.
« Il faut tenir compte de la situation qui fait en sorte que la personne se retrouve à l’urgence, précise le président. Il y a des protocoles à suivre selon les cas et il ne faut pas contaminer la preuve. Il faut éviter d’explorer les émotions denses, il faut se rappeler que les interventions faites à l’urgence seront parfois suivies par la thérapie, mais pas nécessairement. »
Les infirmières auxiliaires à l’urgence collaborent avec les travailleurs sociaux notamment dans la collecte de données. Une personne victime de violence ou d’un abus aura à répéter plusieurs fois son histoire. Il est important pour l’équipe qui intervient de limiter le nombre de fois où cette personne aura à livrer son témoignage.
Une personne en détresse péritraumatique pourra réagir de différentes manières. « Cela peut se manifester par des flashbacks. On ne cherche pas à faire revivre l’événement à la personne. Il arrive aussi qu’elle fasse de l’évitement, qu’elle se referme. Les réactions de dissociations sont également possibles. Ça prend des professionnels aguerris pour intervenir », complète M. Malenfant.
Agressions sexuelles
Joan Castonguay adopte aussi l’approche détaillée par le président de l’OTSTCFQ dans ses interventions auprès des victimes d’agression sexuelle. « Contrairement à la violence conjugale, une personne qui se présente à l’urgence pour une agression va le nommer, indique l’infirmière auxiliaire. On doit encore une fois respecter son rythme, l’écouter et ne pas pousser. Elle va devoir raconter son histoire à plusieurs intervenants, y compris la police si elle souhaite porter plainte. Mon rôle est d’accueillir ce qu’elle souhaite me dire et expliquer les étapes qui sont à venir sur le plan médical. »
Selon l’ordonnance médicale, la professionnelle est amenée à procéder à différents prélèvements, effectuer le dépistage des ITSS, ouvrir la trousse médico-légale. « Quand on applique ces ordonnances, c’est important d’avoir une approche en douceur et de bien expliquer les étapes qui s’en viennent », signale Mme Castonguay.
Les démarches exigent bien du temps. Des délais sont requis en microbiologie et des suivis sont nécessaires dans ce processus. Au cours de ce dernier, les travailleurs sociaux ont leur rôle à jouer, en s’assurant de ne pas contaminer la preuve. Bien que le choix de porter plainte revienne à la personne, les professionnels se font un point d’honneur à ne pas interférer dans le processus, advenant le cas où la victime décide d’aller de l’avant avec les démarches judiciaires.
Se protéger pour mieux soigner
Bien évidemment, ces situations sont chargées émotivement pour les soignants. « Il faut se protéger soi-même, prévient M. Malenfant. On doit toujours se rappeler de notre Code de déontologie et agir dans le cadre de notre champ d’exercice. On peut être empathique, sans toutefois tomber nous-même dans la détresse. »
« Ça ne peut pas t’envahir, sinon tu vas couler. Je tente de faire de mon mieux, de donner la main au bon moment. Notre crédit comme infirmière auxiliaire, c’est d’ouvrir la porte et de préparer le terrain pour le reste de l’équipe de soins », estime Mme Castonguay.
Toujours alerte, l’infirmière auxiliaire demeure à l’affût des signes qui pourraient laisser transparaître une situation inquiétante.
« Certaines personnes peuvent être hyper agitées, alors que d’autres, complètement stoïques. Les manifestations d’un trauma varient d’une personne à l’autre, il n’y a malheureusement pas de signe universel d’une situation d’urgence », indique le président de l’OTSTCFQ.
Forts de leur expérience, les deux intervenants s’entendent pour dire qu’avec bienveillance, ouverture d’esprit et absence de jugement, les soignants peuvent effectuer les bonnes interventions dans des circonstances parfois complexes. Le détachement permet non seulement aux professionnels de se protéger, mais aussi aux victimes de sentir qu’elles peuvent compter sur l’équipe de soins pour agir dans leur intérêt.
C’est ce lien de confiance qui est parfois déterminant dans le processus de guérison de toutes blessures.
(Photo: Le président de l’OTSTCFQ, Pierre-Paul Malenfant)
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<b>EN SAVOIR PLUS</b>
La trousse médico-légale est l’outil utilisé en vue de réaliser l’examen médico-légal à toute personne victime d’une agression sexuelle. Cette trousse est offerte dans les meilleurs délais suivant l’épisode, à toute personne, homme ou femme, qu’elle désire porter plainte, ou non. Rappelons que par ses activités professionnelles, l’infirmière auxiliaire peut effectuer tous les prélèvements, selon une ordonnance, auprès de tout type de clientèle et dans tous les milieux de soins. Elle est donc en première ligne pour collaborer avec l’équipe soignante, à compléter la trousse médico-légale, qui pourrait servir comme éléments de preuve dans une éventuelle enquête.
Nous vous invitons à consulter le site internet du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS) http://www.rqcalacs.qc.ca/.
Nombre d’infirmières auxiliaires qui déclarent travailler aux soins d’urgence
Au 21 mars 2022 | 757 inf. aux |
Au 31 mars 2021 | 702 inf. aux. |
Au 31 mars 2020 | 635 inf. aux. |
Au 31 mars 2019 | 573 inf. aux. |
Au 31 mars 2018 | 569 inf. aux. |