Biais et préjugés | Apprendre à soigner sans idées préconçues
La Dre Amaryllis Ferrand, pédiatre et néonatologiste, ainsi que candidate au doctorat en éthique pragmatique, se penche sur l’impact des biais cognitifs dans les soins. En d’autres termes, elle s’intéresse à l’incidence qu’auront les préjugés des médecins sur la prise de décision pour la santé du patient. Alors que les dénonciations se multiplient à la suite du décès tragique de Joyce Echaquan, nous tentons de démystifier les biais qui peuvent nous influencer en tant que soignants, afin de nous en affranchir.
par Annabelle Baillargeon, Directrice adjointe, Service des communications et des partenariats stratégiques |
La spécialiste décrit d’abord un biais comme un raccourci cognitif. « Tous les êtres humains en ont. Ce sont des raccourcis de pensée qui nous aident à prendre des décisions de façon efficace. On parle de biais affectif lorsque les raccourcis de pensée prennent la forme d’un jugement automatique face à des caractéristiques d’une personne, tels les préjugés. Ceux-là sont plus souvent problématiques. Les biais peuvent aussi être positifs et reliés à l’expérience », explique-t-elle.
Le président-directeur général du Conseil pour la protection des malades, Me Paul G. Brunet constate ce phénomène. « On reçoit régulièrement des plaintes indiquant qu’une personne âgée est abandonnée par son médecin, qu’une personne qui fait de l’embonpoint n’est pas prise au sérieux ou qu’une personne issue d’une minorité culturelle n’est pas traitée respectueusement par ses soignants », cite-t-il en exemple.
(Photo : Me Paul G. Brunet)
Le conseil, qui a pour mission de promouvoir et défendre les droits des usagers du réseau de la santé et des services sociaux, afin d’augmenter leur pouvoir d’agir et d’améliorer la qualité des services, est ainsi appelé à intervenir pour accompagner ces personnes lors de signalements.
Encore peu présentes dans notre littérature, les études réalisées jusqu’à maintenant concernant les biais touchent davantage les populations afro-américaines aux États-Unis, comme le remarque Dre Ferrand. On y démontre que la relation avec les patients peut souffrir d’un manque de confiance dans les interactions. Ces biais peuvent entraîner des erreurs de diagnostic, de pronostic ou même dans la préparation des médicaments. « Cette réalité est surtout étudiée auprès des médecins ou des pharmaciens, mais elle touche n’importe qui qui détient un jugement clinique », précise l’experte.
Pas des robots
Comme le décrit si bien Dre Ferrand : « les professionnels en soins ne sont pas des robots ». Les soignants ne sont pas différents de la population générale. Me Brunet est du même avis : « Il y en a des très bons, mais aussi des personnes qui font de la discrimination. Ça relève de l’éducation, de la culture, de l’ouverture sur le monde », complète-t-il.
Parmi les stratégies pour réduire les biais, il est nécessaire de prendre du recul. Si la première étape est de prendre conscience de nos biais, il est important également de comprendre leur provenance. Dre Ferrand trace tout de même une ligne entre le racisme et les biais. « C’est deux choses », tient-elle à préciser, même si leur impact peut être ressenti de façon similaire.
(Photo : Dre Amaryllis Ferrand)
En cours de carrière
Un biais peut s’inscrire dans la pratique d’un professionnel avec le temps. Plus il acquiert de l’expérience, plus ses liens se feront rapidement en fonction des paramètres présentés. Par exemple, un professionnel qui travaille à l’urgence mettra à contribution ses biais pour aller plus vite vers le diagnostic
« Chaque spécialité a ses défis, précise la chercheuse. Dans notre cas, il fut un temps où on ne réanimait pas les prématurés en bas de 25 semaines, car nous jugions que la qualité de vie n’en vaudrait pas la peine. L’intervention des parents a fait changer les pratiques et on sait aujourd’hui que plusieurs cas en valaient pleinement la peine. Les pratiques évoluent pour mettre de côté certains biais.
Pour y arriver, Dre Ferrand croit que l’éducation est indispensable. Les soignants doivent également faire preuve d’humilité, puisque chaque démarche doit partir de soi. « Parfois, de comprendre qu’il y a des biais nous force à prendre plus de temps ou à aller chercher un deuxième avis », encourage-t-elle.
Vers un avenir meilleur ?
Le Conseil pour la protection des malades observe que les préjugés ne se limitent pas qu’au racisme. La discrimination en lien avec l’orientation sexuelle, l’âge, la condition économique ou la religion compte parmi la liste de préjugés à déconstruire au sein du système de santé.
« Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les caméras sur les téléphones ou dans les chambres de soins de longue durée, on contrôle un peu mieux les situations, ajoute Me Brunet. Ça ne change toutefois pas la nature d’une personne. C’est une question d’éducation. Un enfant qui vit dans un milieu raciste le sera. Plus il y aura de l’ouverture sur le monde, plus les choses pourront changer. »