Infirmière auxiliaire en toxicomanie | Aller à la rencontre de la clientèle
L’Agora est un groupe de médecine de famille (GMF) situé tout juste au-dessus de la gare d’autobus à Montréal. La clinique accueille une clientèle qui compose notamment avec des troubles liés à l’usage des drogues ou encore relatifs à la santé sexuelle. L’infirmière auxiliaire Marie-Ève Baril fait partie de cette équipe multidisciplinaire, où elle collabore à différents projets qui sortent des sentiers battus. Dans le cadre de la COVID-19, elle est allée à la rencontre de ses personnes, pour les soigner à domicile et dans la rue. Rencontre avec une infirmière auxiliaire qui pose un regard sur ceux qui sont trop souvent ignorés.
par Annabelle Baillargeon, Directrice adjointe, Service des communications et des partenariats stratégiques |
Au sein de la clinique, Marie-Ève Baril travaille principalement avec les personnes ayant des problèmes reliés à la toxicomanie. Elle se charge notamment des traitements par antagonistes opioïdes (TAO), en plus de suivre les personnes atteintes d’infections transmises sexuellement et par le sang (ITSS).
Au quotidien, elle reçoit des personnes atteintes du VIH, elle assure des traitements hépatiques, le dépistage des ITSS en plus des traitements de substitution. Tout opiacé entraîne un sevrage physique après quelques jours d’abstinence. Comme l’explique la professionnelle, la méthadone a été créée pour freiner le sentiment de vouloir une autre consommation.
« Il n’y a pas de miracles et cela peut occasionner plusieurs effets secondaires, c’est pourquoi on fait beaucoup de suivis. Je dis toujours que de partir un traitement de substitution, c’est un projet de vie », compare l’infirmière auxiliaire.
Au quotidien, elle assure la collecte de données et s’informe plus précisément sur les habitudes de consommation de ces personnes, le niveau de tentation qu’ils ressentent ou le dosage. Reconnue par ses pairs comme la championne des prélèvements sanguins, elle en fait plusieurs pour vérifier la charge virale des personnes séropositives, atteints de l’hépatite C ou encore d’une autre ITSS.
Elle collabore étroitement avec les pharmacies communautaires pour l’administration des différents médicaments. « Le traitement de gonorrhée, chlamydia ou syphilis sont par injection alors on a besoin du pharmacien. Les personnes vont chercher leur traitement, nous le ramène puis on l’injecte », précise la professionnelle.
Ayant travaillé en agence de placement en soins infirmiers, puis chez une congrégation de religieuses en début de carrière, l’infirmière auxiliaire a trouvé sa place auprès de l’équipe de l’Agora. À voir comment elle sourit à la clientèle et l’absence de jugement avec lequel elle les traite, il est indéniable qu’elle est exactement à l'endroit où elle veut être dans sa vie professionnelle.
« J’ai toujours voulu changer le monde et aider. Plus jeune, plusieurs connaissances sont entrées dans l’univers de la consommation et j’en ai perdu quelques-unes de surdoses. C’est dur de perdre des amis si jeunes de cette façon. J’ai toujours voulu travailler pour aider », confie-t-elle.
Collaboration
Dre Emmanuelle Huchet a cofondé la clinique en 2019 avec six autres médecins. Ces derniers souhaitaient mettre sur pied un modèle différent des cliniques traditionnelles, en plaçant le communautaire au coeur de leur pratique. « C’est à nous d’aller vers le patient », lance-t-elle avec conviction.
L’équipe multidisciplinaire rassemblée autour de la même mission est vaste. Médecins, infirmières, infirmières auxiliaires, travailleurs sociaux, pharmaciens GMF, microbiologistes et gastroentérologues travaillent ensemble.
« L’implication dans une clinique, il en faut de plus en plus, ajoute Dre Huchet. Oui il y a des médecins co-fondateurs, mais il y a toute l’équipe du nursing qui a embarqué et suivi dans ce projet-là aussi. Je crois beaucoup à l’équipe. Parfois, l’infirmière ou l’infirmière auxiliaire va en savoir beaucoup plus sur notre patient. Leur implication dans le soin est encore plus importante et c’est ce qu’on voulait bonifier. »
Projet spécial
Avec l’arrivée de la pandémie, l’équipe de la clinique a été forcée de revoir ses façons de faire pour continuer à soigner adéquatement une clientèle vulnérable, souvent aux prises avec des enjeux de santé mentale.
Avec pour objectif d’assurer les suivis des personnes séropositives ou encore de certaines sous traitements de méthadone par exemple, Dre Huchet a créé un projet pilote qu’elle a confié à Marie-Ève Baril. À l’image du soutien à domicile, l’infirmière auxiliaire se rendait chez les personnes et arrivait à les soigner grâce à une évaluation faite par les médecins en visioconférence.
Par ailleurs, la clinique traite également des personnes en situation d’itinérance. Si certains manquaient à l’appel, l’infirmière auxiliaire tentait de les retracer. Tel que le mentionne le médecin, les suivis sont essentiels pour assurer la bonne compliance de la médication.
Munie de son sac à dos, l’infirmière auxiliaire sillonnait les parcs où elle était susceptible de retrouver certaines personnes en situation d’itinérance. Elle transportait toujours avec elle tout le matériel nécessaire pour apporter les soins requis par ceux qui croisaient sa route. Pansements, tensiomètre, matériel requis pour les ponctions veineuses, condoms sont quelques exemples de trouvailles au fond de son sac, tant pour soigner que pour prévenir.
« Le système de santé est basé sur l’organisation, mais parfois, pour des gens très malades, ce n’est pas possible, souligne Dre Emmanuelle Huchet. Ce n’est pas toujours au patient de venir ici, avec la chronicité des maladies, les défis entourant la santé mentale, c’est aussi à nous d’aller vers eux et c’est l’idéologie même de l’Agora. »
Intelligence émotionnelle
Pour arriver à entrer dans l’intimité des personnes qu’elle soigne, l’infirmière auxiliaire se doit de gagner la confiance de ces dernières.
« C’est difficile de créer ce lien avec les patients. Ils ont souvent vécu de l’abandon et des traumatismes dans leur vie. Je dis toujours que leur vie est parfois un parcours à obstacles. Le fait de refaire confiance à quelqu’un, ça ne vient pas d’entrée de jeu », reconnaît-elle.
Au cours de ce projet, la professionnelle a été confrontée à différents défis. Pour y arriver, certaines balises ont été mises en place, en prenant toujours soin d’enrayer tout jugement. « On entre dans leur vie et parfois, elle est un peu chaotique. Les patients ne pouvaient pas consommer devant Marie-Ève. Quand on offre un soin, il faut s’assurer que la collaboration et le consentement sont présents. Dans ces situations, elle se retirait et signalait qu’elle allait repousser le rendez-vous », cite en exemple Dre Huchet. Si travailler auprès de cette clientèle demande une expertise avec des connaissances bien spécifiques et une grande polyvalence, de bonnes aptitudes sociales sont également essentielles pour arriver à créer ces liens de confiance.
« Il ne faut avoir aucun jugement et surtout beaucoup de respect. J’ai tellement reçu de jugements de la part des autres concernant mon apparence que ça m’aide aujourd’hui dans mon travail », souligne Mme Baril.
À suivre l’infirmière auxiliaire quelques pas à l’extérieur, nous sommes à même de constater qu’elle est appréciée dans la rue et inspire la confiance auprès de la clientèle. Au coeur d’une équipe multidisciplinaire, elle arrive à jouer pleinement son rôle, ce qui lui permet de mettre à profit l’étendue de son champ d’exercice.
« Les infirmières auxiliaires ont leur rôle dans la collecte de données, mais avec un chapeau d’expertise ajouté, décrit Dre Huchet. Elles ont développé un lien majeur avec la clientèle, il y a des secrets qui se partagent aussi sur la santé, parfois ça va vite et ils ne nous disent pas tout. »
Crise des opioïdes
La dernière année aura été très marquée par la crise des opioïdes. « Ce fut très dur pour l’ensemble de l’équipe. On a perdu des patients d’overdoses ou de suicides. C’est sûr qu’il y a cet aspect avec une clientèle plus difficile. Nos patients peuvent nous quitter abruptement, avec une fin violente », reconnaît avec émotion la cofondatrice de la clinique.
La pandémie aura aussi été ardue pour la santé mentale de cette clientèle, avec l’isolement qu’elle a occasionné. « Une partie du nombre de décès est survenu à l’hôpital, mais le nombre de morts dans la rue, ça on l’a oublié », lance avec regret le médecin.
Loin d’être terminée, cette crise des opioïdes inquiète les deux professionnelles, qui souhaitent qu’on s’y attarde davantage.
En constante évolution, les drogues se transforment à un rythme effréné. Les substances comme les médicaments de prescription se retrouvent sur la rue et entraînent de nouvelles dépendances. Il s’agit d’un réel défi pour l’infirmière auxiliaire de se maintenir à jour pour suivre tous les changements et trouver les bonnes formations. « Ce sont souvent les patients qui me tiennent au courant. La crise des opioïdes, il faut qu’on s’y intéresse, c’est majeur », renchérit-elle.
Réformer la manière de soigner
L’Agora demeure une clinique bien singulière, où les soins sont repensés en fonction de la clientèle. L’équipe souhaite continuer de faire valoir leur modèle afin d’éventuellement être reconnue comme clinique experte.
Au sein de cette structure, l’infirmière auxiliaire y joue un rôle phare. « Elle a sa place dans la prise en charge de la globalité du soin au patient. On a souvent tendance à penser que le travail de l’infirmière auxiliaire se limite à la collecte de données et aux ponctions veineuses, mais leur spécialité spécifique, elles vont l’exercer de plus en plus, comme Marie-Ève le fait si bien », conclut Dre Huchet.
En plus d’exercer sa profession à l’Agora,
l’infirmière auxiliaire Marie-Ève Baril s’implique
auprès d’une foule d’organismes.
Membre du Conseil d’administration de l’organisme Cactus qui offre des services d’injection supervisée, elle assure également une permanence d’une journée par semaine pour y effectuer des tests de dépistage. Elle donne des conseils à la clientèle pour s’injecter sécuritairement, en plus de référer à l’Agora au besoin. Passionnée par sa profession, elle a bonifié son expertise en obtenant un certificat en toxicomanie. Ce programme universitaire vise à permettre aux professionnels de développer des compétences pour intervenir, en conformité avec leur statut professionnel, dans le domaine de la prévention et de la réadaptation des toxicomanies. Elle transmet également ses connaissances en s’impliquant pour donner des formations de toutes sortes, notamment sur les ITSS dans les écoles secondaires, les pharmacies. Elle a aussi partagé son expertise auprès de l’organisme l’Itinéraire, où elle a enseigné l’administration de la Naloxone au personnel en place. |