Un coup de fil avec...Ingrid Falaise
Ingrid Falaise est comédienne, autrice, animatrice et conférencière. Elle est également une battante, une survivante et surtout une figure d’espoir lorsqu’il est question de violence conjugale. Ayant réussi à fuir l’emprise néfaste de son ex-conjoint, elle partage aujourd’hui son vécu pour dénoncer toutes ces formes de violences. Jointe au téléphone, elle tenait à souligner l’apport indispensable des professionnels de la santé dans le processus de reconstruction. Comme elle le dit si bien, des ailes, ça repousse. Rencontre avec une femme inspirante, pour qui le ciel n’a plus de limites.
par Annabelle Baillargeon, Directrice adjointe, Service des communications et des partenariats stratégiques |
Depuis plusieurs années, votre voix s’élève pour dénoncer la violence conjugale et vous levez le voile sur ces situations trop présentes dans notre société. Votre récit, Le Monstre, a bouleversé des milliers de lecteurs. Pourquoi était-il important de mettre votre âme à nu et de raconter votre histoire au grand public ?
« C’est parti d’abord d’un désir personnel de reconstruction. Pour moi, l’écriture c’était mon média pour être capable de transmettre ce qui brûlait à l’intérieur. Par un geste qui à la base était pour moi, j’ai réussi à toucher des milliers et des milliers de femmes. C’est là que je me suis rendu compte que mon histoire elle n’était pas unique ; c’est celle de milliers de femmes à travers le monde. Pour la toute première fois, je ne me sentais plus toute seule.
Lorsqu’on vit de la violence conjugale, on est isolé, alors on se sent seule au monde. En partageant mon histoire, mes réseaux sociaux se sont remplis de messages de femmes et d’hommes qui me racontaient à leur tour leur histoire d’horreur.
C’est venu me faire écho et ça m’a confirmé que c’est large, que mon histoire ressemble à celle de milliers d’autres et qu’il faut absolument continuer à en parler. Ça n’a aucun sens qu’on soit aussi nombreuses à vivre aussi le même cycle, la même escalade de tension. C’est pour cette raison que j’ai continué, que j’ai bâti une conférence et que j’ai décidé de continuer à sensibiliser la population à la violence conjugale. J’avais envie de sortir des préjugés, des stéréotypes, des tabous qui entourent la violence conjugale. Bien que ça se passe dans l’intimité, ça nous appartient à tous et à chacun et c’est une responsabilité sociale de mettre la main à la pâte pour que ça change et que ça cesse. Ça part de nous, de notre responsabilité, alors c’est pour cette raison que j’ai continué. »
Cette notion de responsabilité partagée est intéressante, considérant que c’est un sujet qui rend inconfortable, qui est parsemé de tabous. Par des prises de paroles comme la vôtre, on arrive à faire bouger les choses. C’est en effet un devoir collectif et non l’histoire exclusive d’une victime et de son bourreau. C’est ensemble qu’on peut arriver à faire changer les choses. Du moins, c’est le souhait que l’on devrait chérir.
« À l’époque, on parlait beaucoup de chicanes de couples, de drames passionnels. Ces termes-là aussi doivent changer. La violence conjugale n’est pas une chicane. La violence conjugale, c’est un contrôle coercitif, une domination qui s’est installée. C’est de brimer la liberté d’une personne au quotidien par des petits gestes, notamment : qu’il faut rentrer à l’heure, que les enfants se taisent, que tu t’habilles d’une telle manière. C’est ça la violence conjugale qui amène parfois à de la violence physique.
La violence physique peut arriver une fois et plus jamais ensuite, mais ça aura envoyé le message pour démontrer jusqu’où ça peut aller. C’est tout le contrôle qui s’est installé au fil des années, c’est ça la violence conjugale et c’est ça qui est mal compris.
Il faut changer la mentalité des gens aussi, leur façon de percevoir la violence conjugale et nommer les choses telles qu’elles sont. Il faut élever la voix lorsqu’on voit des comportements inadéquats ou contrôlants dans notre entourage. Il faut dénoncer tout le monde ensemble. »
Dans votre roman adapté au petit écran, vous nous présentez votre histoire, celle d’un grand amour qui tourne de manière troublante au cauchemar. Avec le recul, arrivez-vous à comprendre comment cette relation s’est transformée pour laisser place à de la violence ?
« Chaque histoire de violence conjugale commence par une histoire d’amour. Ça ne commence pas avec un coup de poing au visage, une menace, un contrôle. Ce que je remarque, c’est que c’est très difficile à la déceler au départ. C’est pour ça que c’est aussi difficile de s’en sortir, parce que ça commence par de belles paroles, par un coup de foudre, une histoire d’amour, par un couple qui se forme et qui a l’air banal et normal. Le problème, c’est lorsqu’on tombe sur une personne qui est manipulatrice, contrôlante, dominante qui va exercer par la suite la violence conjugale.
La première étape, c’est donc la séduction. On tombe dans ses filets, on est en amour, tout semble bien aller. Tranquillement, il va nous isoler de notre entourage, de nos proches pour mieux nous contrôler. Il nous manipule, nous rabaisse avec des petites critiques sur notre façon de nous habiller, de nous comporter, de parler. On perd tranquillement notre personnalité et comme on est isolé, on tombe sous son emprise.
De mon côté, je ne savais plus comment réfléchir par moi-même, parce qu’il m’a cassée au fil des semaines. Parfois, il va te faire un compliment pour ensuite te l’enlever, te brimer, te violenter verbalement en prétextant que tu l’as cherché alors tu ne sais plus sur quel pied danser. Éventuellement, tu n’as plus personne pour comparer tes souffrances avec la réalité. Tu n’as que lui, comme il t’a isolée, alors l’emprise et le contrôle peuvent prendre de l’ampleur. »
Depuis le début de notre entretien, je remarque que vous ne parlez pas uniquement de violence physique. Votre discours témoigne également des ravages de la violence psychologique. Celle-ci est parfois écartée lorsqu’on parle de ces enjeux, mais est pourtant omniprésente dans les situations de violence conjugale.
« Il y a toujours de la violence psychologique avant la violence physique. Dans certains cas, on en arrive à la violence physique, mais elle n’est pas nécessaire pour vivre de la violence conjugale.
Lorsqu’un homme a installé son contrôle, il n’a qu’à nous regarder d’une façon pour qu’on sache ce dont il est capable. Une femme que j’ai interviewée pour mon documentaire Face aux monstres, la reconstruction a appelé plusieurs fois à l’aide et comme il n’y avait aucune violence physique, personne n’est venu. Il a finalement tué son enfant avant de se suicider. C’était de la violence psychologique, du contrôle coercitif qui durait depuis des années. Dans plusieurs cas, ils finissent par tuer, sans jamais avoir levé la main sur la femme en question auparavant. Donc ce n’est pas à prendre à la légère, au contraire.
On parle également très peu de la violence post-séparation. On pense que la violence conjugale se termine une fois qu’on est séparé, mais c’est complètement faux ! La violence post-séparation, le contrôle qui va passer par les enfants est très répandu. »
Ces violences subies par le passé doivent transformer les personnes qui en sont victimes. Constatez-vous des répercussions provenant de cette période de votre vie encore aujourd’hui ?
« Ce qui me reste aujourd’hui, c’est que je suis en état d’hyper vigilance constant. Les bruits, les gestes un peu brusques autour de moi peuvent déclencher certaines émotions, me ramener à certains moments.
Ces manifestations ont vraiment diminué avec la guérison. Briser le silence est la première étape. Plus on parle, plus on est entendue, reconnue, plus ça met un baume de douceur sur notre coeur. Le fait d’avoir écrit mon histoire, fait des conférences, validé par le récit des autres que je n’étais pas la seule m’a aidé à guérir. Il reste des traumas bien évidemment qui sont encore là.
Des ailes, ça repousse et c’est ça que j’ai envie de partager. C’est possible d’être heureuse, brillante, droite et de voler haut, même si l’on a vécu des traumas par le passé. C’est possible de se reconstruire, mais il faut briser le silence, aller chercher de l’aide, travailler sur soi, reconnaître ce qui s’est passé, prendre soin de soi et panser nos blessures. »
Votre témoignage représente certainement un phare au milieu de la nuit pour plusieurs victimes, pour les guider vers une autre destination et donner l’espoir que c’est possible d’être heureuse aussi.
« Il faut enlever la honte aussi à ces femmes. C’est à eux d’avoir honte, pas aux victimes ! Le problème, c’est que la responsabilité repose sur les épaules des femmes. C’est à elles de sortir de la maison, d’aller dans un centre d’hébergement pour femmes violentées, d’aller en thérapie. C’est à elle d’avoir peur alors que lui peut marcher librement dans les rues ? C’est absurde et il faut que la honte change de camp.
Je suis contente de voir de plus en plus de femmes connues témoigner et qu’il y a de plus en plus de documentaires qui en parlent pour arriver à briser les tabous.
Peu importe notre nationalité, notre situation financière, notre éducation, on peut tous et toutes tomber sous l’emprise d’une personne violente ou d’un pervers narcissique. Notre force de caractère n’a rien à voir là-dedans. C’est eux qui s’autorisent à trouver nos failles et à jouer dedans pour nous détruire. »
Vous racontez avoir frôlé la mort et connu des souffrances inimaginables. Vos parents, impuissants, vous ont soutenu tout au long de cette sombre période. De quelle manière l’entourage des victimes peut-il jouer un rôle dans l’accompagnement de ces dernières ?
« Ils sont d’une importance majeure parce qu’ils sont le filet de sécurité. En moyenne au Québec, une femme va quitter six fois avant de partir pour de bon. Six à sept retours vers le conjoint violent parce qu’on est ambivalente, manipulée, parce qu’ils nous promettent qu’ils vont changer, qu’on veut y croire. C’est encore plus dur de quitter parce qu’on est encore plus honteuse et isolée.
Il faut comprendre comme entourage que c’est possible que ça prenne six à huit fois. Il faut garder la porte et les bras ouverts, parce que la prochaine fois sera peut-être la bonne, et surtout, de ne pas juger, parce qu’on se fait déjà assez critiquer et brasser à la maison.
Il y a aussi les maisons d’hébergement qui ne sont pas là seulement pour aller séjourner en cas d’urgence. Elles ont aussi des intervenantes extraordinaires qui font des suivis externes aussi, pour répondre à vos questions, vous accompagner dans la rupture, parce que le niveau de dangerosité augmente dans la séparation. Elles sont là pour la planifier avec vous. »
On dit souvent qu’il faut tout un village pour élever un enfant, le proverbe s’applique également pour surmonter un traumatisme. Croyez-vous que le soutien des proches et l’apport des différents professionnels, comme celui des infirmières auxiliaires, est déterminant dans la guérison ?
« Ça peut amener juste un déclic. Je me rappelle une fois où j’étais allée chercher de l’aide . À mon accueil, quelqu’un m’avait dit : « je te prends en charge ». Ça m’a permis de me déposer, me reposer, prendre un souffle et ne pas me sentir toute seule ; il y a un monde extérieur, des mains tendues et de la bienveillance.
Une infirmière auxiliaire peut t’accueillir pour peut-être autre chose, un bobo de ton enfant, et va déceler que quelque chose ne tourne pas rond parce que tu as peur, que tu regardes par terre, que tu es en hyper vigilance. Juste de glisser le numéro d’SOS violence conjugale, de demander : « comment ça va à la maison », ça peut ouvrir une porte et sauver une vie.
C’est pourquoi la formation des infirmières auxiliaires, et celle de toute l’équipe de soins, du personnel enseignant, des éducatrices est hyper importante. Si la professionnelle est formée, elle va pouvoir déceler et agir pour peut-être semer une graine dans la tête de la femme en question ou simplement être une main tendue, un réconfort ou un moment de répit. »
La route vers la guérison est longue et ne s’arrête pas qu’à la fin de la relation. Le chemin pour réapprendre à vivre est un long pèlerinage. Comment arrive-t-on d’abord à se sortir d’une relation toxique et où trouve-t-on la force pour se reconstruire ? Quelles ressources nous permettent de nous en sortir ?
« Pour s’en sortir, il faut atteindre notre propre fond. Il faut décider de se choisir. C’est souvent quand on est en état de survie et qu’on craint pour notre vie qu’on décide de s’enfuir. Les féminicides arrivent souvent dans ces cas-là. Il faut planifier la suite, assurer notre sécurité et celle des enfants.
Pour décider de partir, je savais que ma vie valait plus que la sienne et je le savais capable de me tuer. C’est des années de reconstruction pour reprendre le contrôle sur sa propre vie. Ça commence par des petits choix : décider ce qu’on veut manger, comment on veut s’habiller, quand on sort, quand on rentre. C’est très long de reprendre ce contrôle et c’est pour ça que c’est important d’être accompagné de professionnels qui comprennent la violence conjugale.
Ça prend une vie à se reconstruire, mais il y a de l’espoir. On a le choix : d’être victime toute notre vie ou de prendre notre balluchon, d’avoir les antennes, les alarmes, mais de décider de continuer, de mordre dans la vie. Il n’y a que nous qui pouvons le faire, bien accompagnées évidemment. »
Plusieurs organismes offrent du soutien au Québec pour les personnes victimes de violence conjugale. Les infirmières auxiliaires, tout comme l’ensemble de l’équipe de soin, comptent parmi les intervenants qui agissent en relation d’aide auprès de ces dernières. De quelle manière ces professionnelles doivent-elles adapter les soins qu’elles dispensent à cette clientèle ? Quelles sont les qualités indispensables que devrait avoir le personnel soignant dans ce type d’interventions ?
« La douceur, la bienveillance, l’écoute et l’empathie sont indispensables et il est nécessaire de connaître la violence conjugale et ses répercussions.
Ce que je souhaiterais, c’est qu’un système de protection collectif soit mis en place pour que les infirmières auxiliaires et toute l’équipe médicale puissent entrer chez les gens pour aller voir quelques fois par année si tout va bien.
En tant que société, il faut mettre des outils en place pour aider les femmes, être à l’affût des signes, ouvrir les bras, donner des ressources et assurer un suivi pour un accompagnement par la suite. »
Le monstre
À dix-huit ans, j'ai quitté mon Québec, ma famille, mes amis, pour m'évader vers l'Afrique, lieu d'origine de mon prince charmant. Cette idylle a dégénéré, influencée en partie par les traditions et les coutumes d'une petite ville perdue à deux heures du Sahara. Mais elle a surtout été marquée par M. M comme Monstre, M comme Malade, M comme Manipulateur, M comme la première lettre de son prénom. Le prince est devenu bourreau, le chevalier est devenu vautour. De retour au Québec transformée, affaiblie et mariée à l'islam, constamment humiliée, battue et enfermée dans un sous-sol crade de l'arrondissement Saint-Laurent, j'ai trouvé la force d'échapper à la mort et de me sortir de l'emprise de M.
Le Monstre est un récit bouleversant, poignant. Ce n'est pas celui d'une lointaine étrangère, c'est celui d'Ingrid Falaise. Mais c'est peut-être celui de votre soeur, de votre fille, de votre amie ou même le vôtre.
Le montre, la suite
Le 22 juillet 2002, je me suis choisie. Tout aurait pu s'arrêter ce soir-là, mais je me suis battue pour m'arracher des mains meurtrières de M. Je me suis enfuie, j'ai sauvé ma peau... Malgré mon départ précipité, l'ombre de M fut omniprésente. Un M ne lâche pas prise aussi facilement. Un M n'abandonne pas sa proie. Me défaire de ses ficelles, me détacher et me guérir de lui fut un long parcours tumultueux où de nombreuses épreuves ont fait obstacle à ma quête de délivrance. J'étais marquée, tatouée et balafrée de M. Mais, pierre par pierre, j'ai gravi la paroi du puits dans une difficile escalade vers la liberté.
Cette suite du récit à succès Le Monstre raconte le chemin de la reconstruction d'Ingrid Falaise. Une interminable marche empreinte d'abus, d'autodestruction et de déni. À coups de thérapies, elle a appris à laisser tomber son armure pour ouvrir son coeur. Après toutes ces années, elle a osé emprunter la voie de la vulnérabilité et de l'entière liberté pour aimer de nouveau.