Une correspondance avec...
François Legault, Premier ministre du Québec
L’ancien président-directeur général d’Air Transat, François Legault, a piloté au cours des derniers mois une crise sans précédent. L’ancien ministre de la Santé, désormais Premier ministre, a été aux commandes pour traverser les turbulences entraînées par la COVID-19. Malgré un horaire occupé, il a trouvé le temps de faire escale, au cours de l’été, pour s’entretenir avec l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (OIIAQ), et s’adresser à ses 28 000 membres.
par Annabelle Baillargeon, Directrice adjointe, Service des communications et des partenariats stratégiques |
En mars dernier, l’urgence sanitaire a été déclarée afin de limiter la propagation de la COVID-19. Au terme de cette première vague, quelles leçons tirez-vous des événements que nous avons traversés ?
« Nous vivons une situation sans précédent. Aucun système de santé, dans le monde, n’a pu être totalement préparé à affronter un tel événement. Le Québec était déjà aux prises avec des enjeux de personnel, de gouvernance et de bureaucratie au sein du réseau de la santé. Malheureusement, la pandémie n’a fait qu’accentuer ces problèmes, dont on s’est trop peu préoccupés, dans les dernières années, tous gouvernements confondus. On ne peut plus fermer les yeux.
Il est évident que plusieurs leçons doivent être tirées de la première vague. On ne peut réécrire l’histoire, mais on doit agir pour éviter que les erreurs du passé ne se reproduisent. La première vague doit rester comme un point de bascule afin d’améliorer les choses pour de bon dans notre réseau de la santé.
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a déjà dressé un bilan de la première vague et ciblé des correctifs à adopter à court terme. Si on devait résumer ça en quelques mots, on pourrait dire que notre grand objectif, pour cet automne, est d’avoir plus de redditions de comptes dans le réseau de la santé et moins de mobilité de personnel entre les établissements.
Au moment d’écrire ces lignes, votre équipe vient de présenter son plan d’action pour affronter la deuxième vague. Quelles stratégies comptez-vous mettre en place pour entreprendre cette deuxième bataille contre la COVID-19 ?
« Plusieurs enjeux ont été soulevés lors de la première vague : l’absence de reddition de comptes dans les CHSLD et les milieux de vie pour aînés, la force de frappe du virus auprès des personnes vulnérables, la mobilité de la main-d’oeuvre entre les établissements, la capacité de dépistage et les délais pour obtenir les résultats, la prévention et le contrôle des éclosions, l’organisation clinique et les services, les défis quant à l’approvisionnement, la gouvernance des CISSS et des CIUSSS, de même que les communications au sein même du réseau de la santé.
Tous ces enjeux ont été clairement définis et abordés dans le plan d’action du ministre Dubé. Dans ce plan, on a ciblé plusieurs mesures pour :
- Recruter massivement des préposés dans les CHSLDInterdire la mobilité des préposé(e)s aux bénéficiaires et limiter au maximum celle des infirmières, auxiliaires et professionnels, tout en respectant de façon stricte les règles de prévention et de contrôle des infections ;
- Réduire les délais de l’ensemble du processus de dépistage ;
- Assurer l’approvisionnement en équipement de protection individuelle, en concluant notamment des ententes avec des fabricants québécois pour la production d’articles stratégiques ;
- Maintenir un accès sécuritaire pour les proches aidants ;
- Offrir des services de soutien à domicile, adaptés aux besoins des usagers ;
- Maintenir le délestage au minimum pour les services sociaux ;
- Soutenir une offre de service optimale en chirurgie, en endoscopie et en imagerie médicale ;
- Joindre l’ensemble de la population par des communications ciblées et adaptées aux différents publics.
Deux éléments sont aussi incontournables pour préparer le réseau à une potentielle deuxième vague :
- Identifier un gestionnaire responsable dans chaque CHSLD ;
- Mieux former les équipes quant à la prévention et au contrôle des infections. »
Lors de la première vague, la pression s’est fait sentir dans les CHSLD et les résidences privées pour aînés du Québec. Une grande proportion d’infirmières et infirmiers auxiliaires sont présents auprès des clientèles gériatriques. Comment ce personnel pourrait-il s’inscrire parmi les solutions que vous avez ciblées pour éviter une nouvelle crise dans ces milieux ?
« Après la première vague, j’ai lancé un grand défi à notre système de santé : former et engager 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires cet automne pour diminuer la pression dans nos CHSLD et nos résidences pour personnes âgées et épauler le personnel, dont les infirmières et infirmiers auxiliaires. Ça va aussi nous permettre de mieux distribuer nos effectifs dans l’ensemble du réseau de la santé. Il y avait des sceptiques, mais on est en voie de remplir notre objectif, notamment grâce à une grande amélioration des conditions de travail. Ce sera un avantage majeur pour faire face à une éventuelle deuxième vague et éviter de revivre la crise du printemps dernier.
Cela dit, nos infirmières et infirmiers auxiliaires font partie de la solution. Une utilisation optimale de leur champ d’exercice, combinée à une disponibilité à court terme, sera d’une grande aide pour le réseau. La contribution de ces personnes à l’évaluation des situations de soin sur tous les quarts de travail est aussi un incontournable. Il s’agit d’une ressource très précieuse sur plusieurs fronts. Notre objectif est d’en maximiser la contribution. »
Comme vous le mentionnez précédemment, il a été largement question le printemps dernier du rehaussement des conditions de travail des préposés aux bénéficiaires, notamment par le programme visant à favoriser un recrutement massif. Vous soulignez, dans votre plan d’action, la valorisation, notamment, du rôle des infirmières et infirmiers auxiliaires. De quelle manière cela se déclinerait-il afin d’assurer la rétention du personnel et l’attractivité de la profession ?
« Nos infirmières et infirmiers auxiliaires font un travail essentiel dans des conditions trop souvent difficiles. On était déjà déterminés à valoriser leur rôle, avant la pandémie, mais le besoin est encore plus grand aujourd’hui.
Un des moyens pour valoriser la profession est d’optimiser la contribution des ressources dans les milieux où les besoins sont les plus grands. On travaille présentement avec votre Ordre pour élaborer des guides cliniques dans des milieux où le rehaussement de l’effectif serait plus que bienvenu. »
Au cours de la crise, vous avez composé avec plusieurs enjeux relatifs à la rareté de la main-d’oeuvre. Du côté des infirmières et infirmiers auxiliaires, une forte proportion (près de 56 % des membres) travaille toutefois à temps partiel. L’OIIAQ encourage, depuis de nombreuses années, le gouvernement à mettre à profit ce bassin de ressources professionnelles afin de prêter main-forte au réseau, à la hauteur de leur expertise. De quelle manière souhaiteriez-vous travailler sur cette question ?
« On travaille sur un rehaussement des postes à temps plein depuis la signature de la dernière convention collective. C’était un enjeu important, avant la pandémie, et ce l’est encore plus aujourd’hui. Notre cible est d’avoir 50 % de postes à temps complet pour les infirmières et infirmiers auxiliaires, et on est déterminés à atteindre cet objectif. Ça fait partie de la solution. »
À titre de ministre de la Santé, vous avez été, en 2003, l’investigateur du projet de loi 90. Celui-ci a permis aux infirmières et infirmiers auxiliaires d’élargir leur champ d’exercice (prélèvement sanguin, contribution à la vaccination, installation d’un tube nasogastrique). Pourquoi ce projet de loi était-il important pour vous ? Croyez-vous que nous devrions penser à une version 2.0 de cette loi ?
« L’un des meilleurs moyens pour améliorer l’accès aux soins de première ligne, et particulièrement dans le contexte actuel, est d’élargir le champ d’action des infirmières et infirmiers auxiliaires pour profiter du plein potentiel de tous nos professionnels de la santé. Le projet de loi allait dans ce sens-là, tout comme celui que notre gouvernement a adopté, en mars dernier, afin de donner pour le moment plus de pouvoirs aux infirmières et infirmiers praticiens spécialisés, notamment pour poser des diagnostics. On va continuer d’évaluer les moyens pour aider nos infirmières et infirmiers auxiliaires à améliorer la rapidité et la qualité de nos soins de première ligne. La consolidation de l’application de la loi va faire partie de nos efforts. »
Encore aujourd’hui, on constate certaines disparités dans l’application du champ d’exercice des infirmières et infirmiers auxiliaires dans la province. Quelles mesures devraient être appliquées pour corriger cette situation, et ce, dans tous les secteurs ?
« Notre objectif est que les patients puissent profiter du plein potentiel et de l’ensemble des compétences de nos infirmières et infirmiers auxiliaires. On poursuit nos efforts pour que ce soit le cas, partout au Québec, en collaborant de près avec votre Ordre, notamment à l’occasion de la Table nationale de coordination des soins et services infirmiers. »
En terminant, quel message aimeriez-vous adresser aux 28 000 infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec ?
« J’aimerais les remercier du fond du coeur de leur dévouement et de leur travail sans relâche accompli au cours des derniers mois. Nous avons vécu une crise sanitaire sans précédent. Je sais que vous avez été plusieurs à travailler 7 jours sur 7, quart de travail après quart de travail, et ce, plusieurs heures par jour.
Je veux dire à ces femmes et à ces hommes qu’ils ont toute mon admiration et ma reconnaissance. Sans vous, nous n’aurions pas réussi à passer au travers de cette crise. Le Québec entier se souviendra de votre dévouement pour les années et les décennies à venir.
Et au-delà des remerciements, il y a aussi les actions. On va tout faire, dans les prochains mois, pour améliorer vos conditions de travail et pour mieux combattre la pandémie avec vous. Notre bataille contre le virus n’est pas terminée, et vous pouvez compter sur nous pour qu’on la gagne ensemble. »
Plus de questions
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Si vous étiez un infirmier auxiliaire, vers quel secteur vous seriez-vous dirigé ?
« Il n’y a pas de mission plus noble que celle de s’occuper de nos aînés vulnérables. Et les besoins sont tellement importants, encore aujourd’hui ! J’aimerais penser que si j’avais choisi cette voie, comme préposé en CHSLD ou comme infirmier auxiliaire, j’aurais donné des soins directs à nos personnes âgées, afin que celles-ci retrouvent leur autonomie. »
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Avez-vous suivi la vague et cuisiné du pain pendant le confinement ?
« Je ne suis malheureusement pas très bon dans une cuisine, donc je n’ai pas pris de risque ! Il faut dire aussi que je n’ai pas eu beaucoup de temps libre, pendant cette crise, pour m’adonner à ce genre d’activité. Par contre, je me suis toujours gardé du temps pour la lecture, en particulier pour des romans québécois.»
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Les tartelettes du docteur Arruda étaient-elles savoureuses ?
« Je n’ai pas eu l’occasion d’y goûter, mais le Dr Arruda m’assure qu’il fait les meilleures tartelettes portugaises au Québec et il me les recommande fortement. Et comme il faut suivre toutes les recommandations de la santé publique… »
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Quel souhait formulez-vous pour 2021 ?
« Je nous souhaite de remporter, une fois pour toutes, notre bataille contre le virus. J’espère que nous trouverons un vaccin contre le virus et que ce dernier sera accessible à tous les Québécois et Québécoises rapidement. Et même si ce n’est pas le cas, je nous souhaite de réussir à relancer l’économie, sans relancer la pandémie. »