Une visioconférence avec …
Elizabeth Arpin Directrice nationale des soins et services infirmiers
La directrice nationale des soins et services infirmiers, Elizabeth Arpin a accepté de répondre à nos questions le temps d’une visioconférence.
par Annabelle Baillargeon, Directrice adjointe, Service des communications et des partenariats stratégiques |
En pleine pandémie, Elizabeth Arpin s’est lancé tout un défi, en acceptant le poste de directrice nationale des soins et services infirmiers au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Depuis des mois, elle travaille avec vocation à trouver des solutions pour soutenir les équipes de soins, en plus de travailler à tirer des leçons de la période difficile que nous traversons. Celle qui était à l’époque DSI adjointe au CHU Sainte-Justine a accepté de nous en parler davantage, le temps d’une visioconférence. |
Vous avez été nommée directrice nationale des soins infirmiers en août dernier, à l’aube de la deuxième vague de la pandémie de COVID-19. Quels sont vos principaux défis et les objectifs que vous vous êtes fixés en vous lançant dans ce nouveau mandat ?
« Je suis entrée en poste en mai de façon intérimaire. C’était un moment où la première vague commençait à ralentir, alors j’ai pu profiter de l’été pour réfléchir sur une manière d’aborder cette deuxième vague. Les défis sont majeurs en ce qui a trait aux équipes de soins infirmiers. Ils doivent composer avec tous les besoins, pas uniquement ceux en lien avec la COVID-19. Il ne faut pas négliger toute l’adaptation qu’implique la situation à nos pratiques. On fait des choses qu’on ne faisait pas avant ou on les fait différemment, il faut les adapter, notamment en raison de la prévention et du contrôle des infections. Toutes les mesures sanitaires nous obligent à repenser les choses de façon différente.
Ce sont vraiment des défis majeurs, mais il faut aussi réfléchir à comment on soutient les équipes là-dedans. Quand j’ai commencé mon mandat, les gens espéraient que ça se terminerait avec la première vague. C’était de l’inconnu, personne n’avait vécu ça. Quand la deuxième vague est arrivée, cet espoir est un peu disparu. Les gens avaient accumulé une fatigue et anticipaient de revivre les événements difficiles connus dans la première vague. Ils l’ont revécu et d’autres défis se sont ajoutés. Pour moi, le soutien aux équipes pendant la pandémie est primordial, mais il faut aussi se pencher sur des solutions à implanter après la pandémie. Nos soignants sont essoufflés, ils vont avoir vécu des choses difficiles alors nous devons arriver à les soutenir là-dedans. C’est vraiment une de mes grandes préoccupations. »
Le défi est en effet particulier, si vous étiez entrée en poste cinq ans plus tôt, notre discussion aurait été toute autre…
« Tout à fait, il y a 5 ans, nous aurions parlé de plein de choses parce qu’il y a tellement de besoins, tellement de choses à faire ! Une de mes préoccupations, c’est que malgré l’urgence d’agir avec la pandémie, de ne pas oublier tout le reste qui doit malgré tout se travailler, se réfléchir. Nous devons aussi travailler à préparer l’avenir, il ne faut pas le perdre de vue, malgré l’urgence d’aider et de gérer cette crise-là. La collaboration des directeurs en soins infirmiers des établissements est vraiment primordiale dans la réflexion. Je parle d’eux, mais je pense aussi aux autres partenaires, notamment aux deux ordres professionnels en soins infirmiers. Tout ce monde-là travaille de façon très rapprochée depuis le début de la crise. On se parle presque toutes les semaines et je pense que c’est vraiment central pour réussir à tout concilier et à prévoir l’après. »
La pandémie a transformé les soins infirmiers, tout en imposant aux équipes interdisciplinaires de s’adapter à tous ces changements avec agilité. Quelle lecture faites-vous des derniers mois et quelles leçons devrions-nous en tirer pour optimiser les soins infirmiers de demain ?
« Clairement, la pandémie est venue fragiliser des soins qu’on savait déjà très complexes. C’était là avant et c’est exacerbé maintenant. Il n’y a pas juste du négatif avec la pandémie. Elle nous a aussi permis de mesurer la grande capacité d’adaptation des professionnelles en soins infirmiers. Elles ont dû changer leur pratique, ont été déplacées d’un secteur à l’autre, ont fonctionné avec des effectifs encore plus réduits. Certains milieux n’étaient déjà pas très nantis avant la pandémie. On peut aussi retenir de la pandémie l’importance de travailler tout le monde ensemble, avec les professionnels des autres disciplines de la santé. Plus que jamais, on a eu l’occasion de travailler avec eux et de les intégrer dans les soins et je pense que quelque chose de très positif en est ressorti. Dans un autre ordre d’idées, la pandémie a touché considérablement nos personnes âgées. Les infirmières auxiliaires sont extrêmement présentes auprès de cette clientèle. Je pense qu’on a conscientisé la communauté en santé, mais aussi la communauté québécoise, à la complexité des soins aux personnes âgées. C’est une spécialité en soi, elles ont des besoins très spécifiques et il faut s’adapter et évoluer en fonction de cette réalité. Je pense que la pandémie a mis cette réalité en lumière. Ç’a été triste au départ, mais je suis très optimiste pour l’avenir. »
Considérant le contexte de vieillissement de la population, nous arrivons à un carrefour pour implanter des soins plus optimaux. La pandémie aura permis de trouver des solutions pour revoir les soins pour nos aînés de demain.
« Absolument, il faut aussi assurer la formation des professionnelles en soins infirmiers en fonction de la complexité des besoins et en fonction du fait que les personnes âgées ne sont pas seulement dans les CHSLD. Elles sont aussi nos patients en soins aigus dans les hôpitaux, par exemple.La particularité des soins gériatriques, elle ne se retrouve pas uniquement dans certains milieux, mais partout. La formation doit être d’autant plus rehaussée pour faire face à cette complexité-là. »
Au cours des derniers mois, plusieurs arrêtés ministériels ou ententes entre les différents ordres en santé sont venus spécifier quelques avancées pour favoriser l’autonomie de l’infirmière auxiliaire dans la pratique de son plein champ d’exercice. Comment pourrions-nous optimiser davantage, selon vous, la contribution des infirmières auxiliaires dans les équipes de soins ?
« Je reviens à ce que je disais dans la pratique dans les milieux de soins, surtout pour les personnes âgées. Les infirmières auxiliaires sont extrêmement présentes dans ces milieux. Dans plusieurs endroits, la pratique porte beaucoup sur l’administration des médicaments et tout ce qui concerne le circuit médicamenteux. Évidemment, cette pratique est très importante, je ne la diminue pas, mais le champ d’exercice de l’infirmière auxiliaire va beaucoup plus loin que l’administration des médicaments. Je pense qu’on pourrait répondre aux besoins de nos personnes âgées beaucoup mieux en utilisant le champ d’exercice de l’infirmière auxiliaire à d’autres niveaux. En les amenant par exemple à contribuer davantage à l’évaluation de la santé en complétant certaines grilles d’évaluation qui sont spécifiques aux personnes âgées, aux grilles d’évaluation de plaie, au repérage des symptômes de délirium par exemple. Il faut utiliser la situation actuelle pour donner davantage de place à cette contribution de l’infirmière auxiliaire qui est très importante. Il y a des choses qu’on a déjà faites, vous l’avez nommé d’entrée de jeu, avec les arrêtés ministériels. À présent, la vaccination sera facilitée pour les infirmières auxiliaires. Je pense que dans le contexte actuel, c’est le plus bel exemple étant donné l’importance que prendra la campagne de vaccination dans les prochains mois. »
Vous faites référence au principe de miser sur la bonne personne à la bonne place pour créer une équipe de soins plus solide.
« Il y a beaucoup de pédagogie encore à faire. La complexité des soins infirmiers c’est d’avoir deux champs d’exercice [de l’infirmière et de l’infirmière auxiliaire] qui coexistent et c’est confus pour beaucoup de personnes.
La communication, c’est le nerf de la guerre. Il faut communiquer davantage sur les particularités des champs d’exercice pour s’assurer que c’est bien compris. Je pense qu’on ne pourra jamais en faire assez. Plus c’est compris, plus c’est intégré, plus c’est fluide dans les milieux de soins. »
Par leurs compétences et leurs connaissances, les infirmières auxiliaires jouent un rôle essentiel pour dispenser à la population des soins sécuritaires et de qualité. Quelle est la place de l’infirmière auxiliaire au sein de l’équipe de soins selon vous ?
« La composition des équipes de soins est vraiment faite en fonction de la présence de l’infirmière auxiliaire dans ces équipes. C’est difficile pour moi d’imaginer de penser à un service essentiel qui n’inclurait pas ces professionnelles. Elles soutiennent l’ensemble de l’équipe interdisciplinaire, pas uniquement les infirmières. Je vois aussi la place privilégiée qu’a l’infirmière auxiliaire dans la relation thérapeutique auprès des patients. C’est vraiment une professionnelle à leurs côtés. Elles ont vraiment une relation privilégiée avec les patients, les personnes dans nos milieux de vie et elles peuvent utiliser cette relation-là pour contribuer davantage à mieux répondre à leurs besoins. »
Les Comités d’infirmières et infirmiers auxiliaires (CIIA) ont pour mission d’apprécier de manière générale la qualité des soins infirmiers posés par les infirmières auxiliaires. Ces comités sont amenés à travailler avec les directions des soins infirmiers. Comment voyez-vous la collaboration entre ces instances ?
« Je pense que les CIIA doivent continuer de saisir les opportunités pour transmettre aux DSI et aux CII des avis sur des enjeux liés à la qualité des soins et services, des recommandations pour améliorer l’utilisation du champ d’exercice des infirmières auxiliaires, toujours dans la perspective d’améliorer la qualité des soins aux patients. Les rôles sont complémentaires, les CIIA, les CII, les DSI, ils ont tous le même objectif, c’est la qualité et la sécurité des soins aux patients. Le CIIA, en transmettant ses avis, contribue à alimenter et à éclairer les DSI sur les enjeux de l’organisation. L’essence, c’est de prendre les CIIA comme une tribune de consultation, une voix pour faire certaines représentations auprès de la direction des soins infirmiers pour nommer ce qui peut être amélioré. »
La pandémie a apporté son lot de changements, mais nous faisons également face à de nouvelles réalités, avec une population vieillissante, des cas de comorbidité ou encore le déploiement du soutien à domicile. Quels seront selon vous les enjeux à venir pour l’avenir de la profession d’infirmière auxiliaire ?
« C’était déjà complexe avant la pandémie, je pense que la pandémie a remis en lumière cette réalité, à quel point ça évolue à une vitesse vertigineuse. La santé, c’est un domaine extrêmement évolutif. On l’a vu avec la COVID-19, il y a de nouvelles maladies qui apparaissent, de nouvelles technologies, des nouvelles pratiques. Les paramètres ou les normes de soins changent constamment et ça demande de tous les professionnels de la santé, mais notamment de nos professionnelles en soins infirmiers, de se développer de façon continue pendant leur carrière. Pour moi l’avenir, c’est vraiment de mettre en place des mécanismes qui assurent ce développement tout au long de la carrière. Que les connaissances et les compétences des professionnelles soient évolutives de la même façon que les soins le sont. Pour moi c’est vraiment dans ce paradigme-là que je vois l’avenir. La formation doit être repensée à la lumière de la réalité d’aujourd’hui. Tout de même, si l’on repense la formation, le développement professionnel demeurera nécessaire puisque la réalité des soins évolue au fil du temps. »
En terminant, avez-vous un mot à adresser à ces 28 000 professionnelles ?
« J’aimerais transmettre ma reconnaissance. C’était déjà grandiose dans la première vague, avec la deuxième, je reviens à la grande adaptabilité de nos professionnelles en soins infirmiers. Je suis vraiment reconnaissante de leur contribution, de leur capacité d’adaptation. Les infirmières auxiliaires pratiquent auprès des clientèles les plus vulnérables que l’on a dans notre société. Elles les ont accompagnées, et continuent à le faire encore aujourd’hui, avec parfois beaucoup de tristesse autour d’elles. Elles méritent qu’on les reconnaisse et nous allons les soutenir après tout ça pour continuer d’avancer ensemble. »
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